Vie (extraits) et mort de Gerson, citoyen togolais méritoire

Alagbo Komlavi dit Gerson

Certaines rencontres ont un impact déterminant dans l’orientation de nos vies. On se demande parfois si cela relève du hasard ou du destin. Peut-être le second se sert-il du premier pour se révéler.

Une telle rencontre a eu lieu en 2010 dans le Kloto, une région montagneuse du sud-ouest du Togo, pas très loin de la frontière avec le Ghana. À la suite d’un stage en coopération internationale au Bénin voisin, mon amie Marie Bourbeau y voyage en touriste soucieuse des conditions de vie quotidienne des habitants.

Elle y fait la connaissance d’Alagbo Komlavi dont le prénom usuel – comme dans plusieurs pays africains – est Gerson. Il lui parle de son travail d’enseignant dans le village de Kouma Adamé, de la grande pénurie de moyens, financiers, pédagogiques et matériels dans laquelle il pratique. Marie ne le sait pas encore mais cet homme a la réputation d’être têtu et opiniâtre.

De retour à Montréal, en collaboration avec Cécile Mauroy, enseignante à la maternelle de l’École Alternative Atelier, elles décident d’agir à petite échelle. Pendant une douzaine d’années consécutives, elles mobiliseront la maternelle, puis l’ensemble de l’école, pour lever des fonds à l’intention de la communauté de Kouma Adamé.

Avec l’aide de fondations et d’associations humanitaires, l’école maternelle, puis les écoles primaire et secondaire du village seront rénovées et équipées. Leurs actions s’étendront aussi à certains projets et infrastructures du village lui-même, ainsi qu’à des actions auprès d’individus en situation de besoin.

Marie est sur place quelques mois par année, mais le reste du temps, il faut quelqu’un pour faire préparer les devis, coordonner les travaux, y compris la participation des villageois, et tenir les comptes. Cet homme de confiance sera Gerson, qui s’acquitte de ces tâches avec constance, honnêteté et rigueur. À preuve, cette liste non exhaustive de ses contributions :

  • la réfection de la jardinerie et sa protection contre le ruissellement,
  • la construction des latrines,
  • la reconstruction des 4 classes du vieux bâtiment colonial avec l’aide de la Fondation Roncali
  • l’électrification
  • l’achat de matériel scolaire
  • la formation des maîtres à l’informatique avec l’aide de Richard et Suzanne
  • la réfection du toit de la salle informatique au CEG et son électrification

Il coordonnera aussi l’aide à des enfants vulnérables et à leur famille :

  • 3 opérations  au pied de Stéphane, qui lui permettent aujourd’hui d’aller à l’école
  • de la physiothérapie et de l’ergothérapie pour Komi
  • du support à Elom et Louise, à Godwin et à la famille Tengué et à plusieurs autres
  • du suivi pédiatrique pour une trentaine d’enfants d’Adamé
  • une consultation pour les yeux et des lunettes, pour tous ceux qui en avaient besoin
  • du suivi psychiatrique pour plusieurs malades mentaux du village

Il mobilisera aussi un groupe de femmes autour de la création d’une boulangerie locale et construira

  • le hangar
  • le four
  • et la chambre à pain.

Ce rôle lui vaudra des jalousies et souvent même l’hostilité des notables du village, dont l’autorité et la tendance à l’inertie sont à la fois révélées et contournées. Mais avec un entêtement tout à son honneur, il persévère et cela donne des résultats probants. L’homme aura réussi à transformer son entêtement en persévérance et en résolution, au profit de sa communauté.

Il apprendra en 2022 qu’il a une tumeur au cerveau et mourra à 54 ans, à la suite d’une opération pour la retirer, le 16 juillet 2022.

Un homme ordinaire, ayant contribué de manière exemplaire. Ce qu’on nomme un citoyen; un vrai.

Marie et Gerson

Un commentaire sur “Vie (extraits) et mort de Gerson, citoyen togolais méritoire

  1. Que c’est touchant cette histoire! Aussi bien la rencontre de Marie et Gerson que l’engagement des deux envers la communauté. Et l’engagement de Cécile aussi.
    Que l’histoire de Gerson se termine si jeune et abruptement me rend bien triste. Il y a de ces mystères….
    Je laisse la tristesse se tricoter à la gratitude de ce que cet homme si simple, « ordinaire » a été et de ce qu’il a fait. Je le vois filer tout droit au ciel, sans détour, d’où il continuera à veiller sur « son » monde.
    Merci, Mathieu, pour ce témoignage édifiant.

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