
Le 2 février dernier, Francine Pelletier annonçait, le cœur gros, son départ du Devoir (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/668421/mes-adieux-au-devoir). Ce qui a toutes les apparences d’un congédiement déguisé. Avec, pour prétexte plutôt évident, une chronique, parue la semaine précédente, où quelques erreurs factuelles se seraient glissées.
Ce qui lui a valu une mise au point en règle (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/664773/la-pandemie-revue-et-corrigee) par la rédactrice-en-chef (envoyée au front par son directeur?) soucieuse de « rétablir les faits ». Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’écrivait le journaliste d’enquête américain Paul D. Thacker à propos des fact-checkers de Facebook, et qui s’applique plus largement : Fact checkers don’t check facts, they check inconvenient narratives (les vérificateurs de faits ne vérifient pas les faits mais les trames narratives gênantes).
Je pense que ce que Madame Pelletier essayait de faire dans cette chronique, c’est de donner voix, ailleurs que dans le fouillis de la marginalité où elle a été reléguée, à certains aspects d’une autre trame narrative, fondée scientifiquement. Ce qui met en relief un malaise profond en lien avec la direction du Devoir, révélé par la crise de la Covid-19. Que dit cette autre trame narrative?
Elle dit que l’argument d’autorité a remplacé le débat scientifique légitime, ce qui met en lumière le piètre niveau de culture scientifique de la direction. Elle dit que l’enquête et la curiosité journalistiques ont été remplacées par la décision de ne relayer que le message gouvernemental. Elle dit comment la direction de ce journal a détourné son regard des effets sociaux de mesures gouvernementales divisives, et évacué la conscience de leurs effets délétères sur la solidarité sociale et l’esprit de la démocratie. There is no such thing (as society), a un jour dit Margaret Thatcher…
Cette même trame dit que les vaccins ont accédé à un statut de sacrement et qu’on présente désormais son code QR comme un certificat de baptême pour entrer chez Rona; la direction du Devoir semble complètement aveugle à la lourde charge symbolique d’un tel geste. Elle dit qu’un chroniqueur vedette du Devoir, probablement inculte sur le plan de la médecine scientifique, peut traiter les « non-vaccinés » de taouins sans que personne dans la direction ne s’en offusque. Elle dit que Santé Canada, que ce journal accusait il y a peu, d’être à la botte des fabricants de pesticides, a tout à coup revêtu une aura de sainteté. Elle rappelle que plusieurs des pharmaceutiques ont eu des pratiques qu’on a comparées à celles du crime organisé.
Elle dit aussi qu’il existe un questionnement scientifique légitime de la validité des essais cliniques ayant présidé à l’approbation des vaccins, questionnement dont la direction du Devoir est informée depuis des mois, mais qu’elle semble s’obstiner à ignorer. Elle dit finalement que la mesure du passeport vaccinal, que le directeur a encensée à deux reprises en éditorial, n’a aucun fondement scientifique et repose plutôt sur une logique du ressentiment.
Tout cela illustre un manque flagrant de jugement, un exercice du pouvoir éditorial à la frontière de la censure et surtout, constitue une série de manquements à l’éthique journalistique passablement plus graves que ceux dont on accuse Madame Pelletier. Ses chroniques, audacieuses voire courageuses, fouillées et solidement argumentées, abordant la vie de la polis dans toute sa complexité, contribuaient de manière importante à la vie de la Cité. Tout cela pour un journal qui s’est toujours targué de son indépendance face au pouvoir politique. Vraiment? On aurait voulu tuer la messagère qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Un pilote est quelqu’un qui a la capacité de voir loin, de fouiller et de tenir compte de toutes les informations pertinentes venant de toutes les sources informées, de faire confiance à son équipage et de prendre des décisions éclairées. Tout cela nous amène à nous demander s’il y a un pilote en Devoir, un journaliste qui ait une vision, une curiosité et une conscience de ses angles morts, qui soit ouvert et intéressé aux contributions de ses collaborateurs et pas figé dans des positions doctrinaires et rigides, donnant sans réflexion son appui aux autorités. La question mérite d’être posée.