Rêver en groupe

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Il existe assez peu d’occasions pour une personne qui s’intéresse à ses rêves d’avoir accès à une ressource compétente pour les examiner, en dehors du contexte spécifique de la psychothérapie. Et pas tout le monde a l’envie, le besoin et les moyens d’une psychothérapie. Et même dans le cas où ces conditions sont présentes, assez peu de psychothérapeutes s’intéressent au monde onirique de leurs patients. De sorte que pour plusieurs personnes, participer à un groupe d’exploration des rêves constitue le seul lieu possible.

Mais la question se pose alors : quel est l’intérêt de faire ce travail en groupe? Précisons au point de départ que les groupes dont je parle, sont des groupes qui ont une certaine continuité dans le temps et une certaine stabilité chez les membres, ce qui n’exclut pas que des groupes plus éphémères ou à membership ouvert puissent aussi être bénéfiques.

Un premier avantage, c’est la possibilité pour un participant à un tel groupe de se connaître et de se faire connaître des autres d’une manière inhabituelle, en ce qu’il n’est pas tant question de parler de sa vie, de ses activités, de ses pensées, émotions, goûts ou particularités psychologiques, de ses problèmes ou de son histoire. Bien sûr, il arrivera que, pour fournir un certain contexte d’éclairage à un rêve, une participante parlera de sa vie quotidienne, de son histoire ou des difficultés avec lesquelles elle est aux prises, mais c’est en général assez limité et ça ne constitue pas le sujet principal de ce qu’elle donne à voir d’elle. Pourtant, elle s’ouvre et donne accès à quelque chose d’elle qui est profond et souvent marquant, ne serait-ce que par l’étrangeté des images qu’on rencontre dans les rêves.

Un second avantage sera, étant donné la continuité du groupe, de voir apparaître quelque chose comme une signature, un style, un certain ton récurrent dans les rêves d’une même personne, quelque chose comme une identité profonde sur laquelle on n’a pas de pouvoir, qui est difficile à cacher et par rapport à laquelle on peut rarement tricher, sinon en refusant de relater certains rêves plus troublants ou compromettants. Et dans ces cas spécifiques, au fur et à mesure que les liens se développent entre les membres du groupe et qu’on s’habitue à cette étrangeté, les participants en viennent le plus souvent à risquer des rêves moins « faciles ». Ce style marque une identité profonde de la personne, sa prise individuelle sur le monde intérieur.

On pourrait penser que, pour une personne, le fait d’ouvrir un rêve qu’elle a fait à l’exploration par plusieurs personnes qui elles, ne l’ont pas fait, risque d’entraîner des interprétations ou explications qui sont hors d’ordre ou concernent plutôt la vie des participants plutôt que celle de la rêveuse qui présente. Et ce danger est bien réel si on ne met pas en place des stratégies d’exploration et des techniques d’animation qui l’évitent, en mettant surtout l’accent sur la nécessité de coller au plus près aux images du rêve et à ce qui s’y passe, et en demandant aux participantes de témoigner des résonances en eux de ces images et de la trame du rêve. Ce qui évite le piège de l’interprétation qu’on substitue au rêve et à sa richesse d’une part, et permet à la rêveuse de percevoir son rêve dans ce qu’il évoque et met en mouvement dans l’imagination des participants.

Il y a là aussi un avantage pour les participantes, soit d’être exposées à un univers d’images oniriques très différent du leur, créant ainsi un contraste qui met en relief encore plus les particularités individuelles. Et pour autant qu’on envisage qu’un rêve donné est moins une création voire une propriété privées mais plutôt la perspective d’une psyché individuelle sur un univers d’intériorité commun à l’humanité, cette résonance des autres peut faire apparaître des aspects du rêve que le rêveur n’aurait jamais envisagés dans un travail d’exploration en solo.

Le groupe agit aussi comme une mémoire collective, devenant le réceptacle et le gardien de l’ensemble des rêves qui y ont été rêvés. Avec la possibilité de rappeler à une participante, un rêve similaire fait il y a un moment et qu’elle avait oublié, ou encore de faire ressortir un motif récurrent dans les rêves d’un participant, qui lui aurait échappé. Je spécifie que, comme dans le titre de ce texte, je parle des rêves qui ont été rêvés dans le groupe et non pas seulement relatés et explorés, parce qu’à chaque fois qu’un rêve est examiné attentivement dans un travail de ce genre, il se trouve à être rêvé à nouveau ou, comme Jung le disait : rêvé plus avant. Il se développe ainsi dans un groupe régulier, une capacité à rêver ensemble que je qualifierais d’intelligence groupale du rêve, donnant une profondeur et une envergure augmentées à chaque nouveau rêve exploré. On constatera alors que, de plus en plus, les rêves des participantes – ou du moins certains d’entre eux – sont des rêves pour le groupe.

Ce qui m’amène à une dernière particularité de l’exploration des rêves sur ce mode. Je pense qu’un groupe continu dans le temps et dans sa composition devient, avec le temps, un instrument sensible et que cette sensibilité ne se manifeste pas que dans la capacité de résonner aux rêves des autres membres. Je pense que cette sensibilité, s’exprimant à travers ses membres, leur permet de rêver des rêves qui ont une certaine portée collective, un peu comme si la sensibilité individuelle, amplifiée et raffinée par l’intelligence groupale, permettait aux individus de saisir, par leurs rêves, des aspects de la réalité collective qui sinon leur échapperait, et de les ramener au groupe comme lieu de mémoire et de compréhension.

Alors rêver en groupe: une bonne idée…

Illustration: Diègo Rivera, Murale, San Francisco Art Institute

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