Guy Corneau : souvenirs en guise d’éloge

Lau1Nous ne nous parlions pas si souvent. Nous nous écrivions, parfois.

Je ne me suis jamais compté parmi ses proches.

Mais j’ai aimé cet homme… et je me suis à plusieurs reprises senti aimé de lui.

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Il y avait de multiples Guy Corneau sur le plan professionnel – plusieurs l’ont dit. Il n’y en avait – en tous cas pour moi – qu’un seul sur le plan personnel. Et c’est celui-là que j’aimais le mieux.

Je n’étais pas le seul…

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Son principal héritage professionnel n’aura pas été sa contribution à la psychologie; il est d’ordre social, et peut-être même politique.

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Pendant plus de quatre ans, chaque semaine, j’ai appris une bonne part de mon métier en supervision avec lui. Je lui devais beaucoup. Il le savait. La dette n’était pas lourde; il était à cet égard, d’une grande élégance.

Il avait sans doute aussi ses propres dettes.

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Une partie de ce qui nous reliait, je pense, c’était la présence de la mort dans nos vies respectives. Nous en avions peu parlé, mais elle était là, au cœur de notre relation.  Elle était présente plus explicitement dans nos contacts depuis quelques années. Sa maladie, bien sûr. Son inquiétude pour son fils, au moment où il est devenu père.   Puis récemment, cette omniprésence de la mort alors que sa sœur et sa mère s’en rapprochaient dangereusement.

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Je pense qu’il a réussi sa vie.

Magistralement.

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Une conférence à Montréal, je ne me souviens ni du conférencier, ni du sujet. La pause au milieu. Je suis assis dans l’amphithéâtre, tête baissée, réfléchissant à ce qui vient d’être dit.

Du mouvement sur ma droite : un homme, visage mince, presqu’émacié, cheveux très courts, vient vers moi d’un air déterminé – qui est-ce?

Puis il sourit, de la manière un peu douloureuse dont il souriait habituellement, et je reconnais Guy. Nous nous embrassons. Il me dit, joyeux, qu’il vient cet après-midi même d’apprendre que son cancer a disparu, qu’il est en rémission complète.

Je suis sourire, silence, me fondant dans son bonheur. Il évoque le recueil de poèmes que je lui ai offert quelques mois plus tôt.

Extrait :

tout l’air alentour bat

ou c’est ton sang ébloui

de se savoir vivant

qui donne à cette roche oubliée

par un glacier son allure

de navire flottant sur un lit

d’herbe de feuilles et d’ombre

Michel X Côté, Tout l’air alentour bat

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L’hiver 1986-87. Un séminaire professionnel. Guy dirige. Nous sommes trois ou quatre participants. Nous étudions un texte de Jung, probablement sur les archétypes et les complexes. Il trouve que, décidément, nous n’avons pas vraiment décortiqué le texte. Il se met à l’ouvrage et, à l’aide d’un exemple clinique, il démonte toute la dynamique psychique, une analyse qui ramène l’ensemble à ses constituants.

A la fin, nous regardons son stylo, qu’il a complètement démonté, sans s’en rendre compte, et qui repose en morceaux sur la table. Il se penche, le voit, se relève ; nous sourions tous.

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Il y a un Guy politique, qui relevait de la personne honnête et généreuse qu’il était, et que j’aimais beaucoup. Il m’écrivait, il y a deux ans :

En ce qui me concerne les garderies seraient gratuites, de même que l’éducation au grand complet, et l’argent de l’armée irait aux artistes. Je ne comprends pas ces analyses économiques à très courte vue. Je croyais que nous vivions dans une société de personnes, je découvre que nous vivons dans une société de nombres.

Et encore, quelques jours plus tard :

Nous vivons dans un pays imaginaire, Mathieu. Nous nous faisons croire que nous vivons au pays du Québec avec sa capitale « nationale » à Québec. Mais nous sommes bel et bien une province du Canada. Nous pensions être devenus des québécois, mais nous sommes encore des canadiens-français, des étrangers dans leur propre pays, avec des dirigeants coloniaux. Le confort et l’indifférence, disait le cinéaste Denis Arcand. Ouais, le confort et l’indifférence.

Guy

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2011. Guy termine une conférence. Je vais vers lui. J’ai appris que tu étais père.

Oui, visiblement ravi.

Puis regard voilé, sourire inquiet : le risque de devenir père à cet âge, avec ma santé…

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La mort, toujours, entre nous, emmaillée à nos propos : je lui annonce la mort d’un ancien patient à lui, qui avait ensuite été le mien.

Il évoque son inquiétude pour sa propre sœur, et sa mère.

J’évoque le deuil des miennes, ancien, mais qui marque pour toujours.

Il répond : « Sans doute que le deuil structure, mais après nous avoir mis complètement à nu! ».

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« La joie, la peine, la vie est fidèle au chantier qu’elle nous propose pour nous libérer. »

Guy Corneau (2016)

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2 commentaires sur “Guy Corneau : souvenirs en guise d’éloge

  1. Merci beaucoup, cher Mathieu Langlais. Nous venons très subitement de perdre une âme radieuse, qui vient de prendre le large. Je resterai toujours tributaire de ses visions humaines et chaleureuses. Son livre* Père manquant, fils manqué *m’aide encore à la réconciliation. J’aurais tellement voulu en faire un film…!

    Je vous espère comblé par la vie. Bonne et heureuse année 2017, guidée par l’espoir.

    Jean-Pierre Gariépy

    Le 8 janvier 2017 à 21:35, Mathieu Langlais – Ramener la psychologie dans

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